Ficelle n° 77 : Philosophie et management.

Quel intérêt le monde du management pourrait-il trouver dans l’exercice de la philosophie ? Tourné vers le rendement, l’efficacité et la création de profits, pourquoi le milieu de l’entreprise se perdrait-il du côté des interrogations radicales de cette antique tradition de pensée ? A première vue en effet, tout les oppose et on aurait envie de dire à propos des philosophes ce que Coluche affirmait, goguenard, des technocrates : « une fois qu’ils ont répondu à ta question, tu ne comprends plus la question » !! Affaire classée donc ? Et pourtant, peut-être que..

Voici donc trois bonnes raisons de recourir à la philosophie :

  1. La philo, ça ne sert à rien…Heureusement !!!

Combien de fois n’entend on pas ce reproche : « la philosophie, ça n’est pas utile » !! Comme la poésie, l’amour, le sourire d’un enfant ou la beauté d’un paysage a-t-on envie de rétorquer ! En effet, la majorité des choses qui comptent pour nous sont davantage de l’ordre du conte que du compte. Dans une réalité où seul ce qui est utile semble avoir de la valeur, la philosophie nous rappelle que les choses précieuses qui sont le sel de nos existences ne sont pas directement du domaine de la maitrise, du rendement, du revenu. Elles rapportent bien moins qu’elles n’offrent. Elles nous invitent discrètement à une certaine démaitrise heureuse, pour nous libérer, justement, des affres et angoisses de la possession à tout prix, fébrile et précaire. Philosopher, c’est apprendre à poser des questions radicales, dont la non résolution ne nous découragera pas car elle ouvrira de nouvelles possibilités de sens.

  1. La philo, c’est se prendre la tête ? Peut-être mais pour ne pas la perdre !

Dans un monde où tout va tellement vite, et où prendre du recul est devenu quasiment un luxe, la philosophie nous invite à oser le temps du questionnement, pour mieux comprendre les problèmes et donc trouver de vraies solutions. Combien de situations s’enveniment-elles parce qu’elles sont mal analysées ? Combien de débats tournant à la foire d’empoignes parce que les concepts utilisés ne sont pas définis ? Combien de chemins sans issue tout simplement parce qu’on a pas pris la peine de les placer sur une carte adéquate ?Bref, philosopher, ce n’est pas se perdre dans une réflexion abstraite , stérile et déconnectée, c’est apprendre à regarder ce que nous vivons autrement, d’une façon plus intelligente et plus libre.

  1. La philo, un luxe ? Non une création.

Pour beaucoup de gens faire de la philosophie signifie se perdre dans une contemplation béate ou chercher à découvrir des vérités immuables siégeant dans le ciel des idées. Gilles Deleuze l’a pourtant bien montré : philosopher, c’est créer des concepts, inventer de nouvelles notions qui peuvent influencer l’action, mettre en œuvre des procédures originales. C’est travailler différemment des situations toujours singulières pour ouvrir des chemins imprévus, improbables. Bref, c’est agir en artisan de la pensée. A l’heure où tant de notions sont devenues floues ou obsolètes, où semble grandir un découragement au cœur d’une crise qui n’en finit pas, ou un certain management tout en chiffres et en efficience paraît s’essouffler dangereusement, n’est-il pas temps d’oser à nouveau un questionnement radical et désarmant ? Seule une confiance dans la pensée critique peut nous sortir d’une situation critique que nous ne parvenons plus à penser.