Il était une fois un magicien qui désirait que tous les apprentis sorciers écrivent à l’encre rouge. Bien au fait des changements qui agitaient son monde, soucieux d’accompagner de la façon la plus harmonieuse les évolutions de son temps, prêt à se lancer dans de nouveaux défis, il avait compris que l’histoire de la magie devrait (pour des raisons qu’il n’est pas utile d’énoncer ici) s’écrire dorénavant en couleur pourpre.
Mais problème : Tous ses proches, élèves et collègues, ne juraient que par l’encre bleue. Eh oui : on s’en servait depuis des temps immémoriaux ! Pourquoi changer ? N’est ce pas si insécurisant ? Et puis, c’est joli le bleu, alors que le rouge…
Que faire face à un tel front de refus ? Tenter de frayer le passage d’un coup de baguette magique ? Rien de tel pour voir chacun se crisper sur sa plume, son stylo ou son marqueur. Tous verraient rouge, et continueraient à écrire en bleu. Sans compter que le combat laisserait pas mal de bleus à l’âme ce qui, reconnaissons le, serait un comble. C’est qu’ils y tenaient, visiblement, à leurs mots bleus.
Notre magicien n’était pas tombé de la dernière pluie, ce n’était pas un bleu. Il ne fut pas rouge de colère mais décida d’y aller par petites touches. Lentement. Patiemment. Il commença par proposer de souligner, de ci, de là, un terme en rouge. Rien de tel pour mieux faire ressortir de bleu, n’est ce pas ?
Puis il suggéra d’écrire quelques mots en rouge, pour souligner la richesse du contraste. Ensuite, quelques phrases, quand le tour fut pris, que les mains et les yeux se furent habitués à autre chose qu’à l’uniformité d’un bleu absolu.
Et c’est ainsi que, insensiblement, le changement s’opéra, sans crises, sans heurts, sans débats interminables et stériles. Chacun découvrit que, ma foi, le rouge était bien pratique, qu’il n’y avait pas de raison de s’énerver de la sorte. Qu’on ne risquait pas tant à oser un peu de changement.
Tout le monde bougea, dans cette affaire, y compris, Abracadabra, notre magicien. C’est que, tout le temps passé à varier et étudier les couleurs lui avait appris, quant à lui, que le bleu n’était pas si mal, finalement, qu’il ne fallait pas vouloir passer au rouge à tout prix, partout et toujours. Et puis, un peu de vert... ne serait ce pas beau aussi ? Quant à l’orange…
L’école, comme par magie, s’ouvrit petit à petit aux délices de la variété, et aujourd’hui, les manuscrits, couleur arc en ciel, font la fierté et la renommée de cette étrange institution qui a renoncé à s’écrire de façon monochrome.
Moralité ?
Changer les habitudes n’est jamais simple, mais il peut être bon, parfois, d’oser en voir de toutes les couleurs !